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Spinoza

  • Christophe
    • Christophe
    J'ouvre après avoir posté une vidéo Spinoza sur Youtube un fil de discussion sur ce philosophe.
    Vos remarques ou questions sont les bienvenues.
  • Mesquida André
    • Mesquida André
    Dans la vidéo de Robert Misrahi , il nous dit que pour Spinoza , "les passions (désirs, affects) nous asservissent nécessairement", "le déroulement des passions s'enchaîne de façon déterminée", "les affects s'enchaînent comme des causes et des effets nécessaires". Il dit aussi que sur ce point il se sépare de Spinoza car pour lui, le concept de liberté de choix développé par les philosophes de la phénoménologie (Husserl, Sartres...;) est premier et nous rend libre par rapport au déterminisme.
    Pourrais- tu nous éclairer sur cette question.
    Merci pour tout ce que tu fais.
    André
  • Christophe
    • Christophe
    Bonjour André,
    Robert Misrahi est un grand spécialiste de la pensée de Spinoza. Il a consacré une bonne part de ses livres à des commentaires portant sur Spinoza, proposant même une traduction de l'ouvrage majeur de Spinoza, Ethique, paru en livre de poche en 2011.
    S'il reconnaît l'influence décisive de la pensée de Spinoza dans son parcours philosophique, il n'en demeure pas moins que R. Misrahi est l'auteur d'une œuvre originale centrée autour de l'éthique, du bonheur, de la joie - thèmes proches de ceux de Spinoza -, mais fondée aussi sur la notion de liberté.
    La notion de liberté n'est pas absente de la philosophie de Spinoza mais elle a un statut singulier puisque celui-ci pense un strict déterminisme opérant dans la nature. Tout ce qui arrive dans la nature est provoqué par des causes et obéit à des lois. Il n'y a pas d'exception à ce principe, de telle sorte que, par exemple, Spinoza récuse la notion de miracle dans le Traité théologico-politique. La nature désigne la totalité de ce qui est, autrement dit, rien n'existe hors de la nature chez Spinoza.
    Cela implique que l'être humain, comme tout ce qui existe, fait partie de la nature (l'homme n'est pas dans la nature comme un empire dans un empire, c'est-à-dire il n'est pas un être qui aurait le pouvoir, sous certaines conditions, de se soustraite aux lois de la nature). Par conséquent, cela implique aussi que ce que fait l'être humain, tout comme ce qu'il pense ou éprouve, obéit à des lois déterminées. Si l'on adopte cette thèse, il semble que la notion de liberté s'évapore. Je fais ce que je fais, je ressens ce que je ressens, je pense ce que je pense, non pas parce que je l'ai choisi, mais parce que des causes m'ont conduit à faire cela plutôt qu'autre chose, à ressentir cela plutôt qu'autre chose, à penser cela plutôt qu'autre chose.
    La notion qui vole en éclats est plus précisément la notion de libre-arbitre ou la notion de volonté. Entendu comme pouvoir de se gouverner soi-même, de décider de ce que l'on fait, ressent ou pense, le libre-arbitre de la volonté est une illusion. Ce qui entretient cette illusion, c'est que nous sommes conscients de nos actes, de nos sentiments, de nos pensées, mais que le plus souvent nous ignorons les causes qui les déterminent. Notre croyance au libre-arbitre est donc ancrée dans l'ignorance. Les affects jouent un rôle prééminent dans les conduites que nous adoptons. Nous agissons le plus souvent sous le coup ou en relation avec une émotion, un sentiment ou une passion. Nous ne contrôlons pas ces affects donc on peut à bon droit en conclure que les affects déterminent notre conduite. Cela étant dit, les êtres humains paraissent prisonniers de ce déterminisme dont on voit mal comment ils pourraient se dégager.
    Ici, se situe une difficulté particulière et cruciale de la philosophie de Spinoza. Sommes-nous condamnés à subir passivement la loi des affects qui nous conditionnent ou bien pouvons-nous constituer un autre rapport à ces affects de telle sorte qu'ils n'entravent pas un processus de libération ou d'émancipation de l'individu ? Et, si oui, par quelles voies instituer ce nouveau rapport ?
    Robert Misrahi adopte une autre thèse que Spinoza sur la question de la liberté. Il fait mention alors d'un autre philosophe qui l'a profondément marqué : Jean-Paul Sartre. Il l'a marqué philosophiquement, en particulier par sa doctrine de la liberté, mais aussi personnellement, car il lui est venu en aide à un moment critique de son existence.
    Sartre fonde sa conception de la liberté, centrale dans sa pensée, sur sa conception de la conscience. L'être humain est libre par essence selon Sartre, parce qu'il n'a pas de nature définie, contrairement aux autres êtres qui peuplent la nature. La vie, le comportement, la conduite de tous les êtres de la nature sont déterminés par leur nature, c'est-à-dire par les propriétés qui définissent leur être et les conduites qui en découlent. Un être minéral, végétal ou animal, même si leur complexité peut différer, ne choisit pas d'être ce qu'il est ; il est ce qu'il est, c'est-à-dire ce que son essence a "programmé" qu'il soit : pierre, planète, rosier, ver de terre, panda...
    On pourrait dire la même chose de l'être humain : il naît porteur de caractéristiques qui le distinguent des autres êtres et qui le dotent d'une nature propre. La différence décisive pour Sartre est que l'être humain est doué de conscience. La conscience est ce par quoi l'être humain ne coïncide pas avec lui-même et par conséquent ne coïncide pas avec une nature pré-définie. Je suis pour moi, j'existe sous mes yeux, si l'on veut employer une image. Je me considère, m'observe, m'interroge... Cette analyse conduit Sartre à distinguer deux modalités d'être : l'être en soi des êtres non humains et l'être pour soi propre à l'être humain.
    Cette division que permet la conscience en chacun inaugure un mode d'être singulier : à savoir, si une chose ou un animal est ce qu'il est, un être humain n'est pas ce qu'il est ou encore il est ce qu'il n'est pas. Il est engagé dans un devenir au cours duquel il donne naissance à un individu singulier (lui-même) par les actes qu'il accomplit et les choix qui les soutiennent. Ces actes et ces choix ne découlent par d'une nature pré-déterminée, pas plus qu'ils ne découlent strictement des circonstances qui les modèlent (ces circonstances ne sont pas niées par Sartre, il les appellent situation, mais ils ne leur donnent pas cette force de conditionnement strict de la conduite des êtres humains). Ils sont la manifestation d'une liberté en acte, qui se cherche au travers d'un avenir dans lequel l'individu se projette, avenir qui n'est pas écrit à l'avance selon le jeu d'une causalité implacable.

    Ce sont des éléments de réponse qui, je l'espère, t'éclaireront. Je suis disponible pour prolonger la discussion, si tu le souhaites et d'autres aussi peut-être.
  • andre mesquida
    • andre mesquida
    Merci Christophe, ta réponse éclaire bien les 2 points de vue et nous démontre la dimension relative de toute vérité.
  • pierre capperon
    • pierre capperon
    Spinoza 2 : si j'ai bien compris, Spinoza nous dit qu'un discours doit avoir un sens, et que si il a un sens, peu importe que ce qu'il dit soit vrai ou faux;j'ai l'impression de m’arrêter au milieu d'un raisonnement sans atteindre l'autre rive.
    Est-ce la conséquence de mon confinement?
  • Christophe
    • Christophe
    pierre capperonSpinoza 2 : si j'ai bien compris, Spinoza nous dit qu'un discours doit avoir un sens, et que si il a un sens, peu importe que ce qu'il dit soit vrai ou faux;j'ai l'impression de m’arrêter au milieu d'un raisonnement sans atteindre l'autre rive.
    Est-ce la conséquence de mon confinement?


    Spinoza s'interroge sur le sens des Écritures. Il se demande quel est le sens des Écritures ? Que nous dit la Bible ? Avant d'examiner la vérité des propositions que contient la Bible, il faut les comprendre et donc en établir le plus distinctement possible le sens.
    Trop souvent, les lecteurs se prononcent sur le caractère vrai ou faux des textes bibliques sans s'être d'abord assuré du sens de ces textes.
    Principe méthodologique donc : 1) déterminer le sens du texte 2) examiner, si c'est possible, si ce qui y est dit est vrai ou faux.
    L'effort de Spinoza consiste ensuite à préciser ce que sont les règles de cette méthode d'interprétation des Écritures, règles que je me suis efforcé d'exposer dans la vidéo.
    Ce qui découle de cet examen, pour aller très vite, c'est que la Bible contient beaucoup de propositions contradictoires, d'incohérences, d'erreurs historiques, que les textes sont d'auteurs différents, d'époques différentes, rédigés selon des intentions diverses, adressés à un public différent... Autrement dit, il réfute la doctrine selon laquelle il y aurait une unité de sens dans la Bible, unité référée à leur caractère supposé sacré et à l'être dont ils sont supposés être l'expression, à savoir Dieu.
    Cependant, il y a, dans la Bible, aux yeux de Spinoza, une proposition éthique qui, elle, présente un caractère universel : aime ton prochain. Et cette proposition ne peut qu'emporter l'adhésion de chacun d'entre nous.
    Pour le détail, je renvoie à la vidéo. Si vous pensez qu'elle mérite d'être complétée, n'hésitez pas, je le ferais avec plaisir.
  • Régine Rongier
    • Régine Rongier
    Ne pensez-vous pas que si, selon Malraux, Vivre c'est transformer en conscience une expérience aussi large que possible
    L’hypothèse que notre liberté réside dans la faculté de jouer notre partition de vie en l’interprétant chacun avec sa sensibilité peut-être satisfaisante
    Toute oeuvre musicale ne varie que par l'interprétation du musicien .....

    Serait-il possible de revenir sur les notions de libre arbitre, déterminisme et destinée
  • andre mesquida
    • andre mesquida
    Bonjour Christophe

    Dans la réponse que tu m'avais faite sur Spinoza mais en développant la pensée de Sartres, tu disais en parlant du concept de "l'être en soi", la chose suivante :

    "Cette analyse conduit Sartre à distinguer deux modalités d'être : l'être en soi des êtres non humains et l'être pour soi propre à l'être humain".

    J'ai lu par ailleurs, que "l'être en soi" appartenait à l'humain mais nous "donnait l'illusion qu'il y avait des significations fixes grâce auxquelles nous pourrions échapper à l'angoisse de la liberté".

    Est-ce que tu voulais dire que pour Sartres, devenir humain était sortir de "l'être en soi" et assumer l'angoisse liée à notre liberté (être pour soi) ?

    André
  • Charlotte de Stordeur
    • Charlotte de Stordeur
    Bonjour Christophe et merci pour ce riche partage que je découvre à l’instant .
    Je reprends le fil de votre échange avec André , deux choses me viennent à l’esprit :
    Spinoza qui a beaucoup écrit sur les émotions dirait que nous ne sommes pas libre car déterminés par celles ci ?
    Alors oui et non car le but déjà est de cerner et sentir ces émotions en les éprouvant puis étape deux serait ne pas se laisser emporter par elles surtout les négatives mais faire agir à ce moment le sa liberté pour ne pas se laisser emporter par elles mais au contraire s’en servir et agir en conséquence comme une boussole , en faire notre alliiez tout en la dominant .
    Deuxième point , Sartre aurait tendance à prendre l’homme dans un paradigme individualiste en ne mettant pas l’accent sur la situation hors c’est souvent cette dernière qui influe sur notre être et nos actions . Cela rend l’homme moins individualiste et plus dans le champs
    Plus subtile , plus aware de la situation .
    Je n’ai pas eu accès à la vidéo dont parle Andre s’agit il d’une deuxième vidéo sur Spinoza ou bien la trouve ton quelque part ?... merci beaucoup
    C’est un régal de pouvoir suivre ces conférences confinées cela permet d’ouvrir et nourrir l’esprit avec ce temps qui nous manquait tant .. merci beaucoup et courage à tous !
    Charlotte

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