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Nietzsche

  • Christophe Lamoure
    • Christophe Lamoure
    Ce salon est destiné à permettre des échanges autour de Nietzsche et plus précisément de son livre Ecce Homo. Il est possible d'y poster des messages pour proposer des remarques, des questions ou des observations touchant aux vidéos consacrées à Nietzsche et disponibles (sous condition) sur Youtube.
    Dans l'attente de vous lire, Christophe.
  • pierre capperon
    • pierre capperon
    Bonne idée le salon;
    A la fin de la première vidéo sur Ecce Homo, Christophe évoque l’usage fait par la sœur de Nietzsche de textes au profit de l’idéologie nazie;
    sont-ils des textes apocryphes ou bien un montage avec des textes existants? Merci
  • Christophe Lamoure
    • Christophe Lamoure
    La sœur de Nietzsche, Elisabeth Förster Nietzsche, a fondé le Nietzsche-Archiv à Naumburg en 1894. Elle le transférera ensuite à Weimar. Il s'agissait de recueillir et conserver l'ensemble des écrits de son frère en vue de leur publication sous forme d'une édition des œuvres complètes.
    Dans l'exécution de ce projet, elle va se livrer à un certain nombre de manipulations. Elle tronquera, en les mutilant, certains livres comme L'Antéchrist ou Ecce Homo.
    Elle ira plus loin encore dans le détournement puisqu'elle attribuera à son frère un ouvrage, La Volonté de puissance, qu'il n'a jamais écrit. Elle le composera, avec l'aide de Peter Gast, à partir de textes, fragments, aphorismes laissés par Nietzsche et découpés, arrangés, réécris et assemblés dans l'intention d'établir une correspondance entre la pensée de Nietzsche et l'idéologie nazie.
    Cette falsification ne sera corrigée que grâce à l'édition des Œuvres complètes de Nietzsche entreprise par Giorgio Colli et Mazzino Montinari (deux universitaires italiens) à partir de 1967.
  • Schlachter
    • Schlachter
    Jamais mieux trahi que par les siens.
  • Christophe
    • Christophe
    Dans Ecce Homo, précisément, Nietzsche écrit :
    "Quand je cherche mon plus exact opposé, l'incommensurable bassesse des instincts, je trouve toujours ma mère et ma sœur, - me croire une "parenté" avec cette canaille serait blasphémer ma nature divine. La manière dont, jusqu'à l'instant présent, ma mère et ma sœur me traitent, m'inspire une indicible horreur : c'est une véritable machine infernale qui est à l'oeuvre, et cherche avec une infaillible sûreté le moment où l'on peut me blesser le plus cruellement - dans mes plus hauts moments... car aucune force ne permet alors de se défendre contre cette venimeuse vermine... La proximité physiologique rend possible une telle disharmonia praestabilita... Mais j'avoue que mon objection la plus profonde contre le "retour éternel", ma pensée proprement "abysmale" c'est toujours ma mère et ma sœur.""
    ("Pourquoi je suis si sage", §3).

    Où l'on voit que Nietzsche, dans ce texte de 1888, ne se faisait aucune illusion sur sa sœur et sa mère.
  • Schlachter
    • Schlachter
    Une lucidité sans faille de sa part, ce qui est un bel exemple de clarté d’esprit, lorsqu’on y réfléchit ?
  • Bourbeillon Lydie
    • Bourbeillon Lydie
    Ai écouté avec intérêt la video d'Alain Jaubert, clair, précis, sauf quand il aborde le concept de l'éternel retour; le retour du même, du semblable, le retour du désir de la joie et de la force vitale; je ne comprends pas comment tout ça s'articule; qu'est-ce-donc que ce retour que Nietzsche qualifie d'éternel?
    Merci de m'éclairer..
  • Christophe
    • Christophe
    SchlachterUne lucidité sans faille de sa part, ce qui est un bel exemple de clarté d’esprit, lorsqu’on y réfléchit ?


    Au moment où il écrit ces lignes (c'est-à-dire avant qu'Elisabeth ne se soit rendue coupable du détournement scandaleux de son oeuvre), on pourrait juger Nietzsche excessivement sévère à l'égard d'une mère et d'une sœur qui l'ont admiré et soutenu d'une certaine manière. Mais ce sont précisément les motifs mêmes qui ont inspiré ce soutien et cette admiration qui révulsent Nietzsche.
    Elles aspirent à travers le fils ou le frère à une reconnaissance sociale, que celui-ci méprise. La réussite, le succès, l'approbation générale constituent à ses yeux des idéaux conformistes, vulgaires et serviles. L'artiste, mais aussi bien tout être humain, doit viser à se dégager de ces considérations qui sont autant d'entraves à son devenir individuel ; son désir doit le porter vers une vie dangereuse, c'est-à-dire étrangère au jeu des normes grégaires, pour créer une forme d'existence originale, autrement dit profondément singulière.
    La lucidité de Nietzsche est en effet remarquable et elle repère avec un flair très sûr tous les leurres qui sont tendus pour empêcher un individu de devenir lui-même, y compris quand ces leurres prennent le visage de la mère ou de la sœur.
  • Christophe
    • Christophe
    Bourbeillon LydieAi écouté avec intérêt la video d'Alain Jaubert, clair, précis, sauf quand il aborde le concept de l'éternel retour; le retour du même, du semblable, le retour du désir de la joie et de la force vitale; je ne comprends pas comment tout ça s'articule; qu'est-ce-donc que ce retour que Nietzsche qualifie d'éternel?
    Merci de m'éclairer..


    Le thème de l'éternel retour est un thème central de la pensée de Nietzsche.
    Il faut d'abord lever une équivoque : ce thème apparaît chez certains philosophes grecs (par exemple, les stoïciens) et désigne le fait que le monde obéit à une logique cyclique qui le voit naître, se développer puis disparaître dans une sorte de déflagration avant de renaître et de suivre le même processus. Si Nietzsche se réfère parfois à cette conception, il élabore un nouveau concept de l'éternel retour.
    Celui-ci renvoie au rapport que nous avons au réel et à la vie. L'analyse de Nietzsche le conduit à mettre en lumière le fait que notre culture s'est édifiée sur une haine du réel et de la vie, un refus de ce qu'ils sont, une déconsidération systématique de leurs caractères propres au profit de la valorisation d'un autre monde qui serait, lui, conforme à nos aspirations, besoins, désirs (le monde des idées, le royaume de Dieu par exemple qui sont ce que Nietzsche appelle des arrières-mondes).
    Il défend la thèse selon laquelle il n'existe pas d'autre monde que celui dans lequel nous vivons, que celui dont nous faisons l'expérience. Il s'agit de parvenir à aimer ce monde, à dire oui à ce réel, ce qui est l'affaire d'une forme de sagesse qu'on peut qualifier de tragique. Dire oui au monde, c'est dire oui à tout ce qu'il comprend, y compris la cruauté qu'il recèle.
    Pour éprouver notre capacité à adopter ce point de vue tragique, Nietzsche imagine une sorte d'expérience de pensée : si nous devions revivre notre existence exactement à l'identique, et ce de façon infinie, l'accepterions-nous ou bien le refuserions-nous ? Cette répétition de la vie à l'identique et de façon infinie est ce que Nietzsche appelle l'éternel retour.
    Cela ne signifie pas que Nietzsche croit que nous devons revivre la même vie à l'infini ; il pense la mort comme la fin définitive de notre être. C'est simplement une hypothèse qu'il livre à la réflexion afin que chacun évalue le degré, si l'on peut dire, de son approbation du réel.
    Ce faisant aussi, il déplace la perspective d'habitude retenue dans la culture de son temps : on jugeait de cette vie et de ce monde à l'aune d'une autre vie et d'un autre monde. Nietzsche, en penseur de la stricte immanence, pense cette vie et ce monde à leur propre aune. Il ne nous offre pas d'évasion métaphysique ou spirituelle possible.
  • Jean-Louis Bessou
    • Jean-Louis Bessou
    Bonjour,
    Au début de la seconde vidéo consacrée à Nietzsche, Christophe souligne la nécessité de se défier du sentiment de tout comprendre d'emblée, et la nécessité d'un travail d'interprétation, interprétation toujours liée au point de vue du lecteur. Dans la préface à la seconde édition de l'histoire de la folie à l'age classique, Michel Foucault refuse d'être "le monarque des choses qu'(il a) dites.."

    2nd préface à “Histoire de la folie” (1972)
    — Foucault, Michel. Seconde préface pour la réédition d’Histoire de la folie à l’âge classique, 1972.

    Je devrais, pour ce livre déjà vieux, écrire une nouvelle préface. J’avoue que j’y répugne. Car j’aurais beau faire : je ne manquerais pas de vouloir le justifier pour ce qu’il était et le réinscrire, autant que faire se peut, dans ce qui se passe aujourd’hui. Possible ou non, habile ou pas, ce ne serait pas honnête. Ce ne serait pas conforme surtout à ce que doit être, par rapport à un livre, la réserve de celui qui l’a écrit. Un livre se produit, évènement minuscule, petit objet maniable. Il est pris dès lors dans un jeu incessant de répétitions ; ses doubles, autour de lui et bien loin de lui se mettent à fourmiller ; chaque lecture lui donne, pour un instant, un corps impalpable et unique ; des fragments de lui-même circulent qu’on fait valoir pour lui, qui passent pour le contenir presque tout entier et en lesquels finalement il lui arrive de trouver refuge ; les commentaires le dédoublent, autres discours où il doit enfin paraître lui-même, avouer ce qu’il a refusé de dire, se délivrer de ce que, bruyamment, il feignait d’être. La réédition en un autre temps, en un autre lieu, est encore un de ces doubles : ni tout à fait leurre ni tout à fait identité.
    La tentation est grande pour qui écrit le livre de faire la loi à tout ce papillotement de simulacres, à leur prescrire une forme, à les lester d’une identité, à leur imposer une marque qui leur donnerait à tous une certaine valeur constante. “Je suis l’auteur : regardez mon visage ou mon profil ; voici à quoi devront ressembler toutes ces figures redoublées qui vont circuler sous mon nom ; celles qui s’en éloigneront ne vaudront rien ; et c’est à leur degré de ressemblance que vous pourrez juger de la valeur des autres. Je suis le nom, la loi, l’âme le secret, la balance de tous ces doubles.” Ainsi s’écrit la Préface, acte premier par lequel commence à s’établir la monarchie de l’auteur, déclaration de tyrannie : mon intention doit être votre précepte ; vous plierez votre lecture, vos analyses, vos critiques, à ce que j’ai voulu faire, entendez bien ma modestie : quand je parle des limites de mon entreprise, j’entends borner votre liberté ; et si je proclame mon sentiment d’avoir été inégal à ma tâche, c’est que je ne veux pas vous laisser le privilège d’objecter à mon livre le fantasme d’un autre, tout proche de lui, mais plus beau que ce qu’il est. Je suis le monarque des choses que j’ai dites et je garde sur elles une éminente souveraineté : celle de mon intention et du sens que j’ai voulu leur donner.
    Je voudrais qu’un livre, au moins du côté de celui qui l’a écrit, ne soit rien d’autre que les phrases dont il est fait ; qu’il ne se dédouble pas dans ce premier simulacre de lui-même qu’est une préface, et qui prétend donner sa loi à tous ceux qui pourront à l’avenir être formés à partir de lui. Je voudrais que cet objet-événement, presque imperceptible parmi tant d’autres, se recopie, se fragmente, se répète, se simule, se dédouble, disparaisse finalement sans que celui à qui il est arrivé de le produire, puisse jamais revendiquer le droit d’en être le maître, d’imposer ce qu’il voulait dire, ni de dire ce qu’il devait être. Bref, je voudrais qu’un livre ne se donne pas lui-même ce statut de texte auquel la pédagogie ou la critique sauront bien le réduire ; mais qu’il ait la désinvolture de se présenter comme discours : à la fois bataille et arme, stratégie et choc, lutte et trophée ou blessure, conjonctures et vestiges, rencontre irrégulière et scène répétable.
    C’est pourquoi à la demande qu’on m’a faite d’écrire pour ce livre réédité une nouvelle préface, je n’ai pu répondre qu’une chose : supprimons donc l’ancienne. Telle sera l’honnêteté. Ne cherchons ni à justifier ce vieux livre ni à le réinscrire aujourd’hui ; la série des évènements auxquels il appartient et qui sont sa vraie loi, est loin d’être close. Quant à la nouveauté, ne feignons pas de la découvrir en lui, comme une réserve secrète, comme une richesse d’abord inaperçue : elle n’a été faite que des choses qui ont été dites sur lui, et des évènements dans lesquels il a été pris.
    - Mais vous venez de faire une préface
    - Du moins est-elle courte.

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    Entretien avec Roger-Pol Droit
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    Des espaces autres. Hétérotopies.

    https://foucault.info/documents/foucault.prefaceHistoireFolie.fr/
  • Christophe
    • Christophe
    Merci beaucoup pour cet extrait, Jean-Louis. Passionnant !
  • Jean-Louis Bessou
    • Jean-Louis Bessou
    Oui. Il faudrait analyser l'écriture, remarquable, j'allais dire: de ce TEXTE (?)
  • Catherine Nouel
    • Catherine Nouel
    Bonjour Christophe : Volonté de puissance chez Nietzsche, volonté chez Schopenhauer, c'est la même idée ? Merci de ton éclaircissement
    Catherine
  • andre mesquida
    • andre mesquida
    Bonjour Christophe,
    Tu as commenté ce passage où Zarathoustra invite ses disciples à ne pas le vénérer et même à "déchirer sa couronne", à se garder de lui, à adopter une attitude critique, dans la quelle je vois aussi de la défiance. Bien que m'habituant peu à peu à la forme littéraire de Nietzsche, je trouve cette radicalité excessive car pour moi, l'idée n'est pas de rejeter le maître (si maître il y a) mais de s'en détacher au fur et à mesure que mes propres ressources deviennent suffisantes pour être vraiment "moi même" comme le dit Nietzsche. La relation "maître / disciple" pourra s'établir alors de façon libre et adulte sans qu'il y ait besoin de renier le maître.
    Amicalement
    André
  • Christophe
    • Christophe
    Jean-Louis BessouOui. Il faudrait analyser l'écriture, remarquable, j'allais dire: de ce TEXTE (?)


    Cher Jean-Louis, je viens, après un long délai, poster quelques mots à propos de la citation que tu fais de Foucault. Passionnante, disais-je, et qui engage ce que c'est qu'un livre, le sens d'un livre, et les rapports qui le constituent, associant selon des logiques multiples et imprévisibles l'auteur, les lecteurs et certains événements.
    On pourrait supposer que, face à un problème, le sens est d'abord flottant, incertain, confus, obscur. Que penser de ce problème ? Comment le comprendre, quel sens revêt-il ? Pourquoi se pose-t-il et pourquoi en ces termes plutôt qu'en d'autres ? Ne convient-il pas de le reprendre, de le reformuler, de l'appréhender autrement ? Quelles enquêtes supposent-ils pour qu'on puisse le traiter avec précision et rigueur ? Enfin, quelle position ou thèse adopter en guise de réponse ?
    Le sens est d'abord fuyant.
    Précisément, le livre serait le moyen d'échapper à cette évanescence du sens ; il serait le résultat d'un travail qui permet de fixer le sens. On cerne le problème, on le détermine et alors on est en mesure de le traiter efficacement, c'est-à-dire d'en révéler le sens véritable et de le résoudre. Tel serait le projet de l'auteur : voici ce qu'il convient de penser à ce sujet et le livre serait l'enregistrement fidèle et immuable de sa pensée.
    Dans un tel cadre, la tâche des lecteurs consisterait à s'efforcer de retrouver aussi scrupuleusement qu'il est possible cette pensée, autrement dit de déchiffrer à travers les lignes de l'ouvrage l'intention de l'auteur. Qu'a-t-il voulu dire, faire comprendre ? Il s'agit de faire coïncider le sens déposé par l'auteur dans le livre et le sens retrouvé par le lecteur au cours de sa lecture. Cela suppose qu'il y ait un rapport intangible entre la lettre du texte : ce qui est écrit, et le sens du texte : ce qu'il signifie. Cela suppose aussi qu'il y ait une adéquation entre l'intention de l'auteur et sa traduction écrite. Foucault nous invite à interroger le bien fondé de ces suppositions ou de ces évidences.

    A suivre.

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